Comment M. Sarkozy a perdu la confiance de ses électeurs

Publié le par titof

LE MONDE

Un an après son élection, Nicolas Sarkozy n'obtient plus la confiance que de 38 % des Français, selon le baromètre mensuel de l'institut CSA. A son arrivée à l'Elysée, il bénéficiait, à son plus haut niveau, d'un socle de confiance de 65 %. Jamais président n'avait disposé d'un tel capital ; jamais chef de l'Etat n'aura connu une telle dégringolade en si peu de temps. Stéphane Rozès, directeur général de CSA, analyse la rupture des Français avec celui qu'ils ont élu.

A quel moment se produit le décrochage dans l'opinion ?

Dans les premiers mois, les Français ne lui tiennent pas rigueur des coups de canif qu'il porte à la symbolique présidentielle : ses amitiés avec les milieux d'affaires et industriels, ses vacances, ses relations avec Cécilia Sarkozy. La chute brusque que nous enregistrons en décembre 2007 provient de la conjonction de deux phénomènes : les attentes sur le pouvoir d'achat et la surexposition de sa vie privée, avec le début de son histoire avec Carla Bruni.

Nicolas Sarkozy avait dit qu'il voulait rompre sur le fond et sur le style avec ses prédécesseurs. Sa rupture sur le fond, les Français - et notamment les catégories populaires - ne la voient pas. La rupture sur le style, ils ne l'acceptent pas. Au contraire, plus il pense devoir "normaliser" le rapport des Français à la globalisation, en les ouvrant à la concurrence, plus il est nécessaire de les rassurer sur l'exercice de la fonction présidentielle.

Dans quelles catégories la chute est-elle la plus marquée ?

Le décrochage concerne principalement les classes populaires, sur le pouvoir d'achat, et les personnes âgées, sur l'exposition de sa vie privée. Alors qu'il perd 17 points, de juillet 2007 à janvier 2008, dans l'ensemble des Français, il baisse de 20 points chez les ouvriers. C'est la catégorie socioprofessionnelle dans laquelle il décroche le plus. Et c'est dans la tranche d'âge des plus de 65 ans qu'il enregistre la plus forte baisse avec une chute de 23 points. Ces signaux, il les avait avant sa conférence de presse début janvier. Et non seulement il ne traite pas ces questions mais il ne fait qu'empirer les choses avec ses deux formules : "Les caisses sont vides" et "avec Carla, c'est du sérieux". Il y avait des inquiétudes, il les amplifie.

Qu'est-ce qui a provoqué ce retournement chez les ouvriers ?

Plus que les catégories populaires, ce sont en effet les ouvriers qui sont les plus déçus. Car la question du pouvoir d'achat n'est pas seulement une question matérielle, c'est aussi une question d'ordre symbolique. Si Nicolas Sarkozy l'a emporté chez les ouvriers, c'est grâce à la redéfinition d'une alliance capital-travail au sein de la nation. Il avait réussi à établir un lien fort sur cette thématique fierté-travail-mérite, avec sa contrepartie pouvoir d'achat. En disant "les caisses sont vides", il esquive la question du pouvoir d'achat, il délite la cohérence de ce qui avait fait la force du sarkozysme dans la classe ouvrière. C'est du même ressort que quand Jospin avait dit "l'Etat ne peut pas tout". C'est vécu par les Français comme un renoncement. Or l'homme politique ne renonce pas. On a besoin d'un homme politique qui, face à l'adversité, porte toujours haut les couleurs du volontarisme.

La chute s'est donc poursuivie ?

Ensuite, on a trois longs mois où Nicolas Sarkozy ne corrige pas les choses. Il ne répond pas aux signaux qu'envoient les sondages qui, de plus, font apparaître une montée de Fillon, comme si les Français voulaient que le président de la République prenne exemple sur son premier ministre. Autre signal : aux municipales, les abstentionnistes se recrutent principalement dans les catégories populaires et chez les personnes âgées, parmi ceux qui avaient voté Sarkozy à la présidentielle.

Dans nos dernières études, alors qu'il remonte un peu chez les ouvriers et les personnes âgées, rassurées par la "normalisation" de ses relations avec Carla et la visite officielle en Angleterre, il baisse fortement dans les classes moyennes. Elles avaient commencé à montrer à partir du sixième mois des signes de fébrilité. Parce qu'elles sont plus attentives à essayer de comprendre la cohérence de ce que fait Sarkozy, elles sont désormais plus inquiètes. Lors de son entretien télévisé, fin avril, tout le monde l'a entendu dire "j'ai fait des erreurs". Mais comme il ne construit pas un autre récit, on se demande au service de quoi il effectue son mea culpa, quelles sont ses priorités.

Comment expliquer qu'il ait mis autant de temps à corriger le tir ?

Le déploiement du sarkozysme a écarté toute alternative un tant soit peu crédible. Le pays, dans ses différentes composantes, redoute que l'échec du sarkozysme ne conduise à une situation comme on n'en a jamais connu dans le passé. Contre lui, il n'y a plus rien, et il le sait. Aux conseilleurs, il semble dire : "Mais vous avez quelqu'un d'autre que moi ?" Le danger de cette situation est qu'on a à la fois le monopole du sarkozysme dans l'imaginaire national, mais celui-ci est profondément délité dans le rapport avec celui qui le porte.

Propos recueillis par Patrick Roger

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article