Le spleen étouffé de l'armée française

Publié le par titof

Errements stratégiques, problèmes d'équipement, faiblesse du renseignement, la mort de dix soldats français en début de semaine en Afghanistan aggrave le malaise qui règne au sein de l'armée française. L'autorité militaire réagit en s'efforçant de brider toute tentative d'expression.cc flickr soldiersmediacenter

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La mort de dix soldats français en Afghanistan tombés dans une embuscade, lundi dernier, ne risque pas d'apaiser le sentiment de malaise qui sourd au sein de l'institution militaire. On se souvient des critiques du Livre Blanc de la Défense exprimées dans Le Figaro par le groupe d'officiers baptisé Surcouf. La DST avait déclenché une enquête pour découvrir l'identité de ces officiers «rebelles».
L'Afghanistan, c'est Dien Bien Phu ?

Le défilé du 14 juillet, qui aurait pu marquer une trêve, n'a rien modifié. Dans une tribune de la revue Défense nationale éditée par le très officiel Comité d'études de Défense nationale et sécurité collective, l'avocat Jean-Philippe Immarigeon dénonçait «Le degré zéro de la pensée stratégique» française. L'auteur compare l'envoi de 700 soldats Français en Afghanistan au parachutage des troupes sur Dien Bien Phu ! «La guerre en Afghanistan durera jusqu'à épuisement d'un des adversaires. Avec cette nouveauté par rapport au conflit indochinois et au discours de Phnom Penh de 1966, qu'il n'est plus inconcevable que, cette fois-ci, la puissance militaire américaine mette le genou à terre la première. Et nous avec».

Problèmes matériels et faiblesse du renseignement

Outre un président indifférent aux questions de défense, le ministre de la défense passe mal et les militaires découvrent une droite curieusement anti-militariste. «Ce qui s'est passé en Afghanistan révèle aussi les faiblesses de l'armée française. Nous avons de très bons soldats d'élite mais pas assez de moyens de renseignements, pas de drones sur place, des problèmes matériels, certains soldats sont obligés d'acheter leurs gilets pare-balles» témoigne Alexis Bautzmann, fondateur notamment de la revue Défense et Sécurité Internationale.
L'armée tient ses troupes

Un malaise qui ne saurait dépasser le cadre des seules casernes. L'autorité veille. Il n'existe aucun blog de militaires français. «Il y a une véritable crainte au sein de l'institution militaire de voir ces tensions exprimées, sur Internet par exemple. L'armée verrouille tout. Il y a bien quelques forums de discussions discrets où parfois les témoignages sont très violents contre l'autorité, mais il est difficile d'y distinguer le bon grain de l'ivraie».

L'armée américaine plus ouverte à la communication

Une volonté d'étouffement motivée par la sortie du très contesté Livre blanc sur la défense. Le temps n'est pas à la polémique. Autant de pratiques que l'on ne retrouve pas, par exemple, au sein de l'armée américaine où la liberté de parole est mieux acceptée : «la sociologie du soldat US n'est pas la même» commente Alexis Bautzmann, «tant que la communication ne nuit pas à la sécurité des hommes sur le terrain, elle n'est pas vécue comme hostile. En Irak, il y a eu très vite des forums spécialisés ou des blogs de soldats qui ont participé à la prise de conscience par les médias américains du bourbier irakien».

La question des familles

Au delà même des militaires sur zone, le gouvernement redoute surtout les familles de ces derniers ou les anciens militaires qui s'expriment sur les antennes des radios nationales ou parfois des sites internet. Ainsi le site des familles du 8e Régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) de Castres ou le blog du journaliste de Libération, Jean-Dominique Merchet, véritable centre de gravité des questions de défense. «Si les conséquences du drame afghan ne sont pas tirées et si ces événements se multiplient, les familles pourraient bel et bien faire entendre leur voix. C'est là aussi que le malaise est le plus profond. Certains signaux en témoignent : il y a de plus en plus de divorces dans l'armée par exemple. L'armée rencontre aussi de graves difficultés de recrutement. Les communicants ont dévoyé l'image de l'armée en faisant croire que son travail relevait de l'humanitaire» estime Alexis Bautzmann.
Le métier des armes n'a jamais été simple. Il est encore plus compliqué lorsque les armées ne se sentent pas suffisamment comprises et guidées par le pouvoir politique.

Régis Soubrouillard

LA SOURCE

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