L'attente inquiète des "Ford", au chômage technique jusqu'en janvier

Publié le par Sarkomance

La grande enseigne ovale plantée sur son gigantesque mât blanc, à l'entrée de l'usine Ford à Blanquefort (Gironde), ne fait plus d'ombre à personne : depuis le 24 octobre, la majorité des 1 600 salariés en CDI de cette usine de fabrication de boîtes de vitesses automatiques est au chômage technique. La mesure court jusqu'au 5 janvier 2009.

Il faut remonter au début des années 1980 pour se remémorer une aussi longue période de chômage partiel. Mais aujourd'hui, la fermeture se fait en continu et l'avenir du site est incertain. Partout en France, la menace se précise ; on attend plus de 40 000 chômeurs supplémentaires en octobre.

Avant même la crise économique, le constructeur américain avait annoncé son retrait de Blanquefort d'ici à 2010. Depuis des mois, en plus de la pression des syndicats, des politiques et des pouvoirs publics, le groupe de Detroit cherche un repreneur. L'usine continuera certainement de produire des boîtes de vitesses, neuves ou reconditionnées. Mais avec moins de personnel : 500, 600 ouvriers ? Les salariés espèrent une réponse avant la fin de l'année.

En attendant, les "Ford" oscillent entre fatalisme et attente. Chaque mardi, entre 100 et 200 d'entre eux se retrouvent devant les grands bâtiments jaune moutarde de l'usine, dans une petite salle située à côté du comité d'entreprise (CE) : "Ça permet de prendre des nouvelles des copains et de ne pas broyer du noir, car plus on attend, plus c'est difficile, reconnaît Christian, un des vétérans de l'usine, arrivé un an après son ouverture en 1973. Ce qui me tord les tripes, c'est d'avoir travaillé tant d'années et de peut-être devoir faire partie de la charrette."

Ils sont quelques dizaines, souvent âgés, et syndiqués à la CGT, à battre le pavé, au nom des Ford. Ils soutiennent aussi les enseignants, les postiers, et les métallos de la Fonderie du Poitou. "On est peut-être une minorité mais on croit en la solidarité et on veut se battre", lâche Philippe Poutou, secrétaire adjoint CGT du comité d'entreprise, connu pour ses positions radicales dans un paysage syndical divisé.

Avec un petit groupe, mercredi 26 novembre, il est venu soutenir des enseignants et des travailleurs sociaux en colère devant la mairie de Bordeaux. A côté de lui, Nicole, la cinquantaine, et trente-cinq ans de Ford, est aussi de toutes les manifs. "Ce n'est pas bon de rester enfermé à la maison", dit-elle.

Nicole confie ne faire aucun projet, malgré sa terrible envie de revoir son fils installé à Nouméa. Jérôme, jeune "Ford" non syndiqué, douze ans de maison, est venu en famille, avec sa femme, assistante maternelle. Comme les autres, il accuse le coup mais préfère relativiser : "On pourrait être sans travail, à la rue et sans logement." Il profite de son temps pour aller chercher sa fille à l'école matin et soir, participe à toutes les manifs. "Je ne vois pas le temps passer."

Mais une grande majorité des salariés reste chez elle, dans la crainte et l'attente. "Ils attendent derrière leur télé pour voir ce qui se passe et ils reviendront tous le 5 janvier, si on rembauche", tonne Christian Bertou, 54 ans, qui fait partie de ceux qui ont vu se construire l'usine en 1972. "Moi, je ne travaille pas du bocal : je me lève tard, tranquillou, je bricole, je me balade, je vais aux champignons ou à la chasse." Ce quinquagénaire a fait les 3 × 8 pendant vingt-cinq ans. "Nous, Ford nous a fait vivre pendant trente-cinq ans, mais pour les plus jeunes, c'est une histoire qui n'est pas encore écrite."

Claudia Courtois

LE MONDE | 27.11.08

Publié dans Actualités

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