Pour une justice au service des citoyens

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Tribune publiée dans le Monde, édition datée du 27 avril

André Vallini, député de l’Isère, ancien président de la commission Outreau
Jean-Louis Autin
, professeur de droit
Dominique Barella, magistrat
Michel Benichou
, avocat
Thomas Clay, professeur de droit
Roland Kessous, magistrat
Christine Lazerges, professeur de droit
Jean-Paul Levy
, avocat

Pierre Lyon-Caen
Jean-Pierre Mignard, avocat.

Outreau n’aurait-il pas suffi ? La justice est trop souvent oubliée dans le débat présidentiel. Elle est pourtant au coeur du pacte républicain et du fonctionnement démocratique de nos institutions. Elle a pour mission d’assurer l’égalité de tous devant la loi. Bien souvent, elle est l’ultime recours contre les difficultés de la vie quotidienne, la précarité et l’insécurité physique, économique et sociale. Demain, elle doit permettre aux Français de conquérir de nouveaux droits, notamment en matière de santé, d’environnement et de consommation.

Les travaux de la commission Outreau ont montré la profondeur de la crise de confiance que la justice connaît, ses dysfonctionnements et l’insuffisance criante de ses moyens.

La confiance doit être rétablie. Elle ne pourra l’être qu’au prix de réformes profondes touchant tant au fond du droit qu’aux pratiques. Le respect dû à la justice a pour corollaire le respect des justiciables. Les Français ont d’abord besoin d’une justice plus accessible, plus proche et plus efficace

L’accès au juge, comme l’accès au droit, doit être encouragé et facilité, notamment pour les plus modestes. L’augmentation conséquente des moyens de l’aide juridictionnelle est indispensable. Il faudra, en même temps, initier une concertation entre les pouvoirs publics, les barreaux, les associations, les collectivités territoriales pour innover dans le domaine des pratiques : créer par exemple des cabinets de conseil et de défense publics, au niveau départemental, sous l’autorité déontologique des barreaux. A terme on doit avoir droit à un avocat comme on a droit à un médecin.

Les décisions de justice devront également être rendues et exécutées plus rapidement : il faudra donc simplifier, unifier, réduire les délais de procédure, recruter des magistrats et surtout des greffiers, des conseillers d’insertion et de probation et des travailleurs sociaux.

Parce que l’organisation judiciaire est archaïque, elle doit être modernisée en conciliant la proximité du réseau des tribunaux d’instance, qui traite du quotidien des Français - affaires familiales, loyers, expulsion, crédit, surendettement - et la nécessaire spécialisation des contentieux les plus techniques : santé, environnement et délinquance financière, etc. Cette justice spécialisée, s’appuyant sur la coopération judiciaire européenne, permettra de lutter plus efficacement contre la criminalité organisée et le terrorisme, qui ne connaissent pas de frontières.

Evidemment, l’implantation des juridictions devra, à l’avenir, tenir compte des besoins des Français, des évolutions démographiques. Des cours d’appel en nombre plus réduit, mais à l’autorité renforcée, doivent se rapprocher des grands centres juridiques universitaires.

Enfin il faudra cesser d’opposer la police et la justice, qui doivent appliquer la loi, chacune à sa place, dans le respect des principes qui régissent leurs relations.

Les Français ont également besoin d’une justice plus protectrice. L’inflation législative, depuis cinq ans, a attaqué les fondements de notre philosophie pénale et a entraîné, lentement mais sûrement, un glissement vers un ordre organisé autour de l’exclusion et de l’enfermement. Le triste épisode de l’interpellation d’un grand-père devant l’école maternelle de la rue Rampal, dans le 19e arrondissement de Paris, suivie de la garde à vue de la directrice de cette école, a choqué toute la France. Notre charte fondatrice existe : c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, applicable à toute personne sur le sol de notre pays comme l’est aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Cela implique l’assistance de l’avocat dès la garde à vue et lors de tous les interrogatoires, et pour cela il faut qu’un véritable service public de la défense soit mis en place, dans l’intérêt des mis en cause mais aussi des victimes.

Il est essentiel de réduire la détention provisoire, dont la France détient le triste record européen. Cela suppose le développement et la modernisation du contrôle judiciaire, notamment par les arrêts domiciliaires pour éloigner la personne mise en examen, et le recours accru au bracelet électronique, sous le contrôle et avec le suivi des personnels de l’administration pénitentiaire.

Il nous faudra rompre avec la politique du “tout carcéral” conduite depuis cinq ans, car cette politique a échoué ainsi que le démontre la montée dramatique des violences contre les personnes.

Cela est particulièrement vrai pour les mineurs, qui ne doivent pas être jugés comme des majeurs. Ségolène Royal a clairement indiqué que la place des mineurs, sauf cas exceptionnels, n’était pas en prison. Nous devons réaffirmer avec force la spécificité du droit des mineurs et la primauté de l’éducatif sur le répressif, tout en assumant pleinement les sanctions nécessaires, dès lors qu’elles sont adaptées et proportionnées.

Une loi pénitentiaire devra rappeler que la privation de liberté est une mesure grave qui ne doit donc être prononcée que lorsque toute autre mesure est impossible et que seule une prison respectueuse de la dignité des détenus permettra d’aider les délinquants à retrouver le chemin du respect des lois et des règles de la vie en société. La lutte contre la récidive passe par les peines alternatives à la détention, mais aussi par les sanctions qui favorisent à la fois la réinsertion des délinquants et la réparation due aux victimes.

Les Français attendent, enfin, de la justice qu’elle soit impartiale et indépendante des pressions politiques et économiques. Face à un candidat de droite qui a foulé aux pieds les principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et de l’indépendance de l’autorité judiciaire, nous voulons, avec Ségolène Royal, affirmer que l’Etat se doit d’être impartial et qu’il est donc urgent de rompre avec les pratiques claniques actuellement en vigueur.

En conséquence, les nominations des magistrats du siège et du parquet devront être faites sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont le président ne sera plus le président de la République.

S’agissant enfin des relations entre le gouvernement et les procureurs, une règle simple devra s’appliquer : si le gouvernement définit et met en oeuvre sous le contrôle du Parlement la politique pénale que les procureurs sont chargés d’appliquer, le garde des sceaux, qui en assure l’exécution, ne doit donner aucune instruction de nature à dévier le cours de la justice dans les dossiers individuels.

Ce renouveau de la justice ne peut se faire sans que des moyens matériels et humains soient dégagés. C’est pourquoi Ségolène Royal a inscrit dans le pacte présidentiel le doublement en cinq ans du budget de la justice. Cet effort consenti par la nation devra s’accompagner de la modernisation, trop longtemps attendue, de la justice.

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