PROCUREUR D'AGEN : "C'est la première fois qu'un magistrat est traité ainsi"

Publié le par titof

Qu'est-ce qui a motivé votre décision de saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature ?
- Le procureur général d'Agen, en poste depuis plus de 13 ans et à quelques mois de la retraite, a appris un projet de mutation pour un poste d'avocat général à la Cour de cassation. On lui a demandé de soumettre sa candidature sous trois jours, en mettant en avant deux arguments : sa longévité inhabituelle en tant que procureur général d'Agen et une volonté de la Chancellerie de réformer le corps judiciaire, notamment en rééquilibrant la parité.
Or, Bernard Blais a, depuis dix ans, fait plusieurs demandes de mutation, qui n'ont jamais été satisfaites. En janvier 2006, il avait fait savoir qu'il renonçait à toute demande de nomination, après notamment que les postes de procureur général ont été pourvus à Bordeaux et à Toulouse. Il estime donc, à juste titre, qu'il n'est pas responsable de sa longévité et qu'étant à huit mois de la retraite, il ne souhaite pas occuper un poste d'avocat général à la Cour de cassation.
Lorsqu'on l'a informé, par voie orale dans un premier temps, du projet de sa mutation, il était sous-entendu que s'il ne la demandait pas, une mutation d'office lui serait imposée. Un terme qui n'a bien sûr pas été repris dans le courrier lui faisant part officiellement de la demande.
Bernard Blais est un magistrat de 64 ans dont la grande compétence et la grande humanité sont reconnues, et lorsqu'il m'a fait part de la situation, j'ai convoqué une assemblée générale des magistrats du siège et du parquet en l'invitant à expliquer ce qui lui arrivait. Après une délibération assez musclée, nous avons voté à l'unanimité une motion, envoyée à la Chancellerie ainsi qu'au Conseil Supérieur de la Magistrature.
Quelles peuvent être les conséquences d'une telle décision, et d'autres manifestations de soutien sont-elles prévues ?
- Pour les conséquences, nous sommes aujourd'hui dans l'expectative.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature est garant de l'indépendance des magistrats. Il donne son avis sur la plupart des nominations, hormis celles annoncées lors du Conseil des ministres, comme c'est le cas des procureurs généraux. Par exemple, pour le poste d'avocat général à la Cour de cassation, son avis est requis. Cette affaire, outre l'indignation qu'elle suscite, interroge également sur ce point. Le poste que la Chancellerie veut octroyer au procureur général d'Agen nécessite un avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Lequel avis risque d'être défavorable si Bernard Blais ne présente pas sa candidature.
Par ailleurs, j'ai décidé hier (jeudi 4 octobre) de sortir de mon droit de réserve en convoquant la presse pour alerter l'opinion sur la manière inadmissible dont ce magistrat est traité. En général, quand la Chancellerie procède à une demande de mutation, c'est une mesure disciplinaire. Compte tenu des états de service irréprochables de Bernard Blais, cette manière de procéder est tout simplement inacceptable.
Il s'agit d'une décision inédite, qui constitue un précédent fâcheux. C'est la première fois qu'un magistrat est traité ainsi. Je pense que cela constitue un facteur de déstabilisation des magistrats du parquet, et plus largement, de l'ensemble de la magistrature.
Cette nouvelle affaire est-elle selon vous symptomatique d'une nouvelle politique de la Chancellerie ? Peut-on y voir une dérive dangereuse ?
- C'est une grave question que je ne souhaite pas me poser. Je veux croire qu'il s'agit là d'une maladresse de la Chancellerie qui va être corrigée. Les syndicats de magistrats, qui se sont saisis de cette affaire, s'interrogent sur ce point. Je vois que la Syndicat de la Magistrature (gauche, minoritaire, ndlr) se demande si elle traduit une volonté politique de mettre au pas la magistrature. La question des principes est posée.
Propos recueillis par Solène Cordier

Publié dans Discours et interviews

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