Vendre des centrales nucléaires n’est pas innocent !

Publié le par titof

En proposant des réacteurs à tous les pays arabes qu’il visite, Nicolas Sarkozy joue les apprentis sorciers, estime Le Quotidien d’Oran. Car une culture nucléaire ne s’improvise pas : elle s’enracine.

Nucléaire pour tout le monde, et c’est la France qui arrose ! Depuis son élection, en mai dernier, le président Nicolas Sarkozy s’est fait le héraut de l’énergie nucléaire, en proposant de vendre la technologie française à nombre de pays arabes, les derniers en date, après la Libye, l’Algérie et l’Egypte, étant ceux du Golfe, Arabie Saoudite comprise. Au quotidien Al-Hayat, le super-VRP de l’atome bleu-blanc-rouge a déclaré avoir souvent dit que “le monde musulman [n’était] pas moins raisonnable que le reste du monde pour recourir au nucléaire civil pour ses besoins en énergie”. Voilà un argument marketing bien judicieux, qui permet de flatter l’ego du chaland avec ce message implicite : achetez mon nucléaire, et vous gagnerez enfin vos galons de pays respectable. Il y a quelque chose d’inquiétant et d’étonnant à la fois dans cet intense lobbying qui n’est pas, contrairement à ce que pensent certains confrères, un verbiage de plus à ajouter à la longue liste des propositions plus ou moins sérieuses et contradictoires qu’émet et teste presque quotidiennement le président français. Ce qui est inquiétant, c’est la perspective d’une prolifération nucléaire sur la rive sud de la Méditerranée, au Moyen-Orient et dans le Golfe. Il ne s’agit pas de savoir si les pays concernés sont raisonnables ou pas, mais de se demander si l’on réalise bien, à Paris comme à Alger ou à Tripoli, ce que signifie un bassin méditer­ranéen équipé d’un nombre sans cesse croissant de réac­teurs nucléaires. La chose étonnante concerne quant à elle le silence des pays européens. On lit ici et là quelques réactions préoccupées, notamment allemandes et scandinaves, mais pour le moment il n’y a guère de débats. Pourtant, l’Union européenne pourrait au moins dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : est-il bien raisonnable (c’est bien le terme qui convient) d’aller proposer du nucléaire civil à des pays instables pour les uns, peu industrialisés pour les autres, ou tout simplement incapables de maîtriser cette filière qui est tout sauf inoffensive ? Je mesure bien la portée de la phrase qui précède et j’imagine déjà les réactions d’indignation, avec des apostrophes comme celle-ci : “Comment ? Et pourquoi, nous, pays du Sud, serions-nous incapables de maîtriser l’énergie nucléaire ?” Que l’on permette à l’ancien ingénieur que je suis de dire ceci : le nucléaire est une affaire trop sérieuse pour être abordée dans la précipitation parce qu’un commis voyageur déchaîné tambourine à votre porte. Tous ceux qui, en Algérie, ont travaillé sur le projet de la centrale d’Aïn Oussara vous le diront : le nucléaire civil exige des moyens financiers et humains importants, ainsi qu’une rigueur absolue. C’est une contrainte totale qui ne laisse aucune place à l’improvisation, à la négligence ou à l’à-peu-près. Bref, le nucléaire ne peut se bâtir que dans un contexte où la sécurité et la prévention industrielles font partie d’une culture, et pas simplement d’un savoir-faire. Est-ce à dire que ces préalables n’existent pas dans nos pays ? Disons simplement, pour ne fâcher personne, qu’ils mériteraient d’être partagés par un plus grand nombre d’individus.

“Le nucléaire, même civil, est tout sauf halal”

On objectera qu’il existe des pays du Sud qui maîtrisent l’énergie nucléaire – c’est le cas, par exemple, du Pakistan. La réponse est simple : à quel prix ? Dans des sociétés où l’analphabétisme fait des ravages, où la santé publique se dégrade, où les infrastructures tombent en ruine, mais où l’énergie fossile est encore présente pour au moins un siècle, je ne pense pas que développer le nucléaire soit une urgence. De même, il faut se poser la question de savoir si opter pour cette énergie revient à faire un acte de civilisation, pour reprendre un mot très utilisé actuellement. Le nucléaire civil, qu’on le veuille ou non, est potentiellement l’antichambre du militaire. Est-ce sur cette voie maléfique que le sud de la Méditerranée veut s’engager ? A ce sujet, le silence des religieux est assourdissant. Toujours prompts à débiter de la fatwa à qui mieux mieux pour fustiger des chanteuses un peu dénudées ou des intellectuels trop irrévérencieux, les religieux musulmans devraient rappeler à leurs gouvernants que, par nature, l’islam ne peut admettre que l’on développe une énergie potentiellement ravageuse pour l’humanité. En un mot, le nucléaire, même civil, est tout sauf halal… Qui peut imaginer une centrale à proximité de La Mecque ou de Médine ? Enfin, les pays producteurs d’hydrocarbures ne doivent pas se faire d’illusions. Quelle est donc cette énergie qu’on veut leur vendre, qui va leur coûter très cher et dont ils n’auront jamais le droit de maîtriser l’élément essentiel, c’est-à-dire la fabrication et le recyclage du combustible (voir le cas iranien…) ? La réalité, c’est que le Nord a de plus en plus besoin du pétrole et du gaz des pays du Sud. C’est pourquoi il les encourage à être moins économes de leurs ressources (et donc à les épuiser plus vite) et leur propose en compensation de développer le nucléaire. Pourquoi pas ? Au-delà des réserves exprimées dans ce qui précède, admettons qu’un “deal” puisse être trouvé. Mais il ne faudra jamais oublier que c’est le Nord qui est demandeur et que, dès lors, son offre de vente de la technologie nucléaire doit s’accompagner d’un très gros rabais et d’un véritable transfert de technologie (voir le cas chinois). Sinon, l’affaire ne sera qu’une grosse arnaque de plus.

Akram Belkaïd Le Quotidien d’Oran - Lu sur Courrier international

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