Histoire secrète - Et Sarkozy zappa la pub de la télévision publique

Publié le par titof

LE MONDE | Raphaëlle Bacqué Ariane Chemin Extraits

Pour dérouler l'histoire secrète de l'annonce de la suppression de la publicité sur France Télévisions, il faut revenir à ces jours de Noël où Paris et les agendas du pouvoir se vident pour quelques jours, où l'urgence cède la place au temps.

Nicolas Sarkozy va s'envoler pour l'Egypte, en compagnie de sa future femme, Carla Bruni. Il a promis de tenir, le 8 janvier, sa première conférence de presse. Faire face aux journalistes, c'est sa façon de réaffirmer sa "rupture" avec un Jacques Chirac souvent retranché dans son palais élyséen. Autour de lui, pourtant, les plus proches ont compris son problème : il n'a aucune annonce choc - aucun "fumigène", comme disent ses amis - à livrer à l'opinion qui commence à douter.

"MITTERRAND AVAIT PRIVATISÉ LA TÉLÉVISION, TU DOIS LA NATIONALISER." ALAIN MINC À NICOLAS SARKOZY

Alain Minc est à Paris. Le conseil en stratégie financière est l'un des hommes les plus écoutés du président de la République depuis son élection, le 6 mai 2007. Il n'ignore pas qu'il est détesté des milieux politiques et médiatiques. Mais il reste le plus recherché de l'establishment, adore le pouvoir, et sait jouer des atouts et faiblesses des hommes.

Ne se vante-t-il pas d'avoir fait, avec le soutien de Cécilia Sarkozy, la carrière de la ministre Rachida Dati ? Dans cet Elysée à demi-vide, il est venu faire une suggestion à son ami Nicolas : "Tu dois continuer à jouer à contre-emploi. Pourquoi pas sur la télévision ? François Mitterrand l'avait privatisée, tu peux être celui qui va la nationaliser."

La télévision, c'est la grande affaire des sociétés modernes. Tout le monde la regarde - sauf ceux qui, au pouvoir, décident pourtant de ce qu'elle doit être. Nicolas Sarkozy est une exception dans le milieu politique. Il adore les retransmissions sportives, les émissions du week-end - celle de son ami Michel Drucker, les variétés françaises. Il a gardé en mémoire une télé idéale, celle de l'enfance des quinquagénaires : "Thierry la Fronde", "Le Grand Echiquier", "L'Heure de vérité"... Pendant sa campagne, il a aussi vanté la "Star'Ac" de TF1, modèle, pour lui, de méritocratie.

S'il retient l'idée d'Alain Minc, c'est aussi parce qu'il cherche à mettre ses pas dans ceux de François Mitterrand, et à piéger une opposition qui ne parvient pas à reprendre son souffle. La suppression de la publicité sur le service public est une vieille utopie de la gauche. Le premier ministre Michel Rocard l'avait proposée en vain en 1989. Dix ans plus tard, le sociologue Pierre Bourdieu la réclamait encore, au côté d'une centaine de professionnels et d'intellectuels. Chaque fois, la gauche a dû renoncer.

En 1999, Lionel Jospin et sa ministre Catherine Trautmann ont bien réduit à huit minutes par heure l'espace réservé aux annonceurs sur France Télévisions. Mais ils ont dû se rendre à l'évidence : la réforme profitait d'abord à la chaîne privée TF1. Afficher son audace en zappant la publicité au nom d'un service public de qualité, c'est un défi auquel Nicolas Sarkozy ne peut pas résister.

A suivre sur  Le Monde du mardi 12/02/08

…………….. "JE NE CESSE DE VOUS LE RÉPÉTER : PAS DE HAUSSE DE LA REDEVANCE !" NICOLAS SARKOZY À FRANÇOIS FILLON ET CHRISTINE ALBANEL

…………… "TU T'ES DÉJÀ PROJETÉ DANS UN UNIVERS SANS PUBLICITÉ ?" HENRI GUAINO À PATRICK DE CAROLIS

…………..... "JE NE SERRE PAS UNE MAIN ARMÉE D'UN POIGNARD !" PATRICK DE CAROLIS À GEORGES-MARC BENAMOU

………........ "TU VAS VOIR, JE VAIS RENDRE HOMMAGE À JEAN-MICHEL GAILLARD." NICOLAS SARKOZY À JACQUES KIRSNER

…………….. "COMMENT SE FAIT-IL QUE NOUS N'AYONS PAS ÉTÉ AU COURANT ?" NONCE PAOLINI, PDG DE TF1

…………….. "NOUS SOMMES AMIS, NOUS NE PARLONS DONC PAS DE ÇA, NICOLAS ET MOI." VINCENT BOLLORÉ

…………...  "JE NE VOIS PAS LA DIFFÉRENCE ENTRE LA TÉLÉ PUBLIQUE ET LA TÉLÉ PRIVÉE." FRANÇOIS FILLON SUR RTL

….................. "C'EST L'INVERSE DE CE QUE LA DROITE PROPOSE DEPUIS DES ANNÉES..." JEAN-FRANÇOIS COPÉ ET LES DÉPUTÉS UMP

La surprise passée, la colère commence à monter. Très vite, on s'aperçoit que ce n'est pas 800 millions d'euros, mais 1,2 milliard qu'il faudra trouver, si l'on compte les trois heures de programmes nécessaires pour remplacer la pub. Le gouvernement, qui avait fait campagne, en 2007, sur la baisse des impôts, se heurte à la résistance des opérateurs de téléphonie mobile et d'accès à Internet. "Qu'ils payent, mais pas nous", lance Christophe Stener, président de l'Union des syndicats des technologies de l'information.

"C'est le concours Lépine des taxes", répète à qui veut l'entendre Pascal Rogard, le directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). La formule fait florès. Notamment chez les parlementaires UMP, déjà bousculés par le rapport Attali à la veille d'une bataille municipale difficile. "Il fallait augmenter la redevance, pas l'impôt", râle le sénateur Louis de Broissia. "C'est l'inverse de ce que prône la droite depuis des années", résume Jean-François Copé, qui rêvait plutôt de la privatisation d'une chaîne.

A France Télévisions, on se prépare à lancer une grève mercredi 13 février. Mais avec cette drôle d'annonce d'un président de droite qui prend ses idées à la gauche, rien n'est simple. Et notamment le choix du mot d'ordre.

Jean-François Tealdi, candidat communiste aux municipales à Nice et ami de Georges-Marc Benamou, a bien conscience du ridicule qu'il y aurait à réclamer sur des pancartes : "Maintien de la pub." Alors pour la grève, il a choisi un slogan obscur : "Pour le développement de l'audiovisuel public : pérennité, financement, périmètre, pluralisme."

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