Les blogs, les médias, Cécilia et Nicolas

Publié le par titof

Jeudi dernier, alors que Nicolas Sarkozy essayait de faire oublier son divorce grâce à une grève, ou bien le contraire, on ne sait pas, André Gunthert nous proposait une remarquable tribune sur les rapports entre les médias traditionnels et la presse, revenant sur le consternant éditorial de Larent Joffrin dans Libération.

« Laurent Joffrin, on s’en souvient, est ce journaliste qui dénonçait avec virulence le rôle néfaste des blogs et d’internet, accusés de nous faire “régresser au XIXe siècle”. Il faut relire aujourd’hui ce réquisitoire, petit bijou de mauvaise foi qui mérite d’être étudié dans les écoles de journalisme. “La rumeur reproduite sur le Net était fausse” y assènait tranquillement Joffrin, renvoyant sans le citer au blog de l’indispensable Bakchich, qui renseignait il y a deux semaines ses lecteurs en ligne sur ce que Libération découvre aujourd’hui : la séparation programmée du chef de l’Etat avec son épouse. Pour une information de ce calibre, sans précédent dans l’histoire de la République, quinze jours d’avance constituent une assez belle performance, qui donne l’assurance que cet épisode restera dans les annales du journalisme. »

Cet épisode, effectivement, reste à méditer. Et il méritera sans aucun doute qu’on y revienne.

Car enfin, sur cette affaire comme sur d’autres, qu’est-ce qui fait que les lecteurs attentifs des blogs en savent plus long que les lecteurs passifs de la presse écrite ?

Autant le dire tout de suite, nous ne croyons pas au complot généralisé. Il n’y a pas d’un côté une presse aux ordres et d’un autre une blogosphère libre, courageuse, et résistante.

L’explication est plus simple et plus sociologique.

D’une part, il faudra bien le reconnaître un jour, il y a à Paris un petit milieu d’initiés, qui se frréquentent, se connaissent, se parlent, s’invitent et savent presque tout sur presque tous. BHL et Sarkozy par exemple se connaissent, se tutoient et s’apprécient. Et ce petit milieu décide de ce qu’il est convenable de dire aux Français et de ce qui doit être dissimulé. Guy Birenbaum avait levé un coin du voile avec Nos délits d’initiés, en s’appliquant une loi d’airain : il balancerait les informations à sa disposition lorsque la personnalité concernée aurait utilisé sa vie privée à des fins d’image publique, et seulement dans ce cas là. Malgré cette précaution, son livre avait suscité l’ire du marigot.

Or, les bloggeurs, nombre d’entre eux en tous cas, sont généralement jeunes, actifs, connectés : ils ont accès aux mêmes sources et disposent des mêmes informations que les journalistes, qu’ils sont parfois eux-mêmes, d’ailleurs. Ils savent.

Ensuite, il faut bien comprendre que "la" blogosphère n’existe pas. il n’y a ni plan ni cohérence. Dans le détail, elle dit tout et n’importe quoi. Il est clair -si ce n’est pas déjà fait - qu’un site satirique annoncera bientôt une rumeur de mariage entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, et qu’il se trouvera quelqu’un dans un forum pour prétendre que Cécilia a été assassinée et remplacée par un sosie. C’est collectivement que la blogosphère produit la vérité. Dans le croisement des sources, la discussion ininterrompue entre les blogueurs, les sites de référence qui émergent grâce au jugement des pairs [1]. Vérité mouvante, statistique, progressive, mais plus efficace et moins "corruptible" que la diffusion au compte-gouttes de l’information par quelques grands-prêtres après tout faillibles.

Enfin, les conditions sociales de production de l’information comptent, quand même. Certains bloggeurs se dissimulent derrière des pseudonymes qui leur permettent de parler plus librement (ce qui pose quelques problèmes, au passage, il est vrai). Certains se contentent de balancer prudemment une pièce du puzzle, laissant à l’internaute le soin de construire lui-même l’information. Tous sont financièrement indépendants : ni employeur, ni actionnaire. Au total, ces conditions matérielles favorisent la liberté d’expression dans un énigme qui n’est pas totalitaire - loin s’en faut -, mais qui est tout de même pas mal autoritaire.

Alors nos grands anciens vont tenter, dans les mois qui viennent, de renvoyer les deux médias dos à dos et de décrédibiliser le net. Ils auraient bien tort. Le principal apport de la blogosphère est de braquer les projecteurs sur les coulisses de leur profession. Ils vont devoir désormais travailler en pleine lumière. Ca change leurs habitudes ? Tant pis ! Qu’ils travaillent et nous les lirons toujours avec délectation.

Publié dans Vu sur le Web

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article