Traité "simplifié" : une occasion manquée par M. Sarkozy

Publié le par titof

Disons-le : le Traité « modificatif » signe l’échec des ambitions européennes qu’avait formulé le candidat Nicolas Sarkozy au long de sa campagne électorale.

Au fil de ses discours, Sarkozy s’était présenté comme le promoteur d‘une Europe soucieuse de « gouvernance économique » et de « protection » des européens.

« Il faut regarder le monde tel qu’il est, lançait-il, à Charleville-Mézières, le 18/12/06. Quand tous les autres se protègent, l’Europe ne peut pas être la seule à être désarmée. Je déteste le protectionnisme qui n’amènera rien de bon. Mais je veux que l’Europe protège. Protéger c’est la responsabilité d’un Président de la République. »

L’Europe actuelle, selon Sarkozy, c’est celle qui surexpose les européens à la concurrence mondiale : « Quand tant d’autres trichent, l’Europe ne peut pas être la seule à respecter les règles. Quand il n’y a pas de réciprocité, l’Europe ne peut pas être le dindon de la farce. (…) L’Europe de la concurrence sans limite est celle de l’impuissance politique et de l’impuissance économique. (…) L’Europe est la seule région du monde où les lois de la concurrence livrent les entreprises aux prédateurs du monde entier parce qu’elles les empêchent de fusionner et parce qu’elles interdisent aux États de les aider. » Et il ajoutait : « Je crois dans l’Europe mais dans celle qui protège, pas dans celle qui inquiète. La préférence communautaire doit être notre règle. »

LA CONCURRENCE LIBRE ET NON FAUSSÉE

Le premier problème de l’Europe, ce serait la concurrence faussée, du fait de la gouvernance européenne qui érige la concurrence en dogme au point de mettre en péril l’économie des pays d’Europe.

La presse a fait grand cas du « succès » qu’aurait remporté Nicolas Sarkozy en obtenant que l’expression « concurrence libre et non faussée » n’apparaisse pas comme un « objectif » du traité modificatif de l’Union.

Si c’était là, une victoire, alors, elle n’est que symbolique ! Car le principe de concurrence reste présent dans nombre d’articles des traités et l’édiction des règles concernant la concurrence demeure de la compétence exclusive de l’Union européenne (1). Si déterminer les règles de la concurrence reste une compétence exclusive et fondamentale de l’Union, alors, il faut bien admettre, qu’en quelque manière, la concurrence reste bel et bien un « objectif » de l’Union !

UNE B.C.E. POLARISÉE SUR LA SEULE LUTTE CONTRE L’INFLATION

Mais à écouter le candidat Sarkozy, la concurrence n’était pas, et de loin, le seul problème de l’Europe. A Marseille, le 19/04/07, N. Sarkozy pose la question de l’euro fort et de la mission de la Banque centrale européenne (BCE) : « Même si cela provoque des vagues, je veux dire que nous n’avons pas créé la deuxième monnaie du monde pour qu’elle soit gérée de cette façon (…) Je demande que l’on fasse avec l’Euro ce que les Américains font avec le Dollar, ce que les Japonais font avec le Yen, les Chinois avec le Yuan et les Anglais avec la Livre sterling. Est-ce trop demander que la monnaie européenne se mette au service de la croissance et de l’emploi, pas au seul service de la banque centrale européenne ? C’est pour cela que nous avons fait l’Euro ! »

Devant la Fondation Amis de l’Europe, le 08/09/06, Sarkozy précise son objectif politique : « Nous devons renforcer le rôle du politique dans le pilotage économique de la zone Euro. Par exemple, l’Union ne peut plus rester indifférente à la valeur de l’Euro par rapport à l’immense zone dollar à laquelle se rattachent de fait les pays émergents. Or, l’article 111 du traité précise que les orientations fondamentales de la politique des changes dépendent, non de la Banque centrale, mais bel et bien des gouvernements, du Conseil statuant à la majorité qualifiée. »

Qu’en est-il dans le traité modificatif ?

Dans le traité modificatif, la stabilité des prix (qui est l’objectif qui « légitime » la politique de l’euro « fort ») compte parmi les nouveaux « objectifs » de l’Union (2) ; auparavant, la stabilité des prix, n’était qu’un objectif de la Banque centrale européenne (BCE) indiqué dans l’article 105 du traité instituant la communauté européenne. Cet article 105 est maintenu par le traité modificatif, mais un nouvel article 245 bis portant sur la BCE est ajouté, qui affirme : « Le Système européen de banques centrales est dirigé par les organes de décision de la Banque centrale européenne. L’objectif principal du Système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. » La BCE reste donc centrée sur l’objectif de lutte contre l’inflation et n’intègre pas, comme les autres banques centrales, les objectifs d’emploi et de croissance.

LE DUMPING FISCAL

Nicolas Sarkozy avait aussi pointé la question du dumping fiscal, qui permet à certain Etats d’attirer des entreprises de pays voisins. Il affirme énergiquement, à Saint-Étienne, le 09/11/06, à quel point ces pratiques lui semble inadmissible : « ce qui n’est plus possible, c’est que grâce aux aides européennes certains États membres puissent pratiquer le dumping fiscal. Ce qui n’est plus possible, c’est que les taux de l’impôt sur les sociétés puissent être abaissés sans demander l’avis de personne mais qu’il faille obtenir l’unanimité pour être autorisé à abaisser le taux de la TVA sur des prestations pourtant non délocalisables comme la restauration ou le bâtiment. » Et d’ironiser, à Lille, le 28/03/07, sur « certains pays (qui) seraient assez riches pour ne pas lever d’impôts, mais (qui) se disent pauvres pour demander des subventions à l’Europe... ? Quand on est riche, on baisse ses impôts et l’on ne demande pas de subventions aux autres. Si on est pauvre, on demande des subventions et l’on ne réduit pas ses impôts à zéro. »

Le nouveau traité fait « écho » à cette problématique du dumping fiscal. Il innove en modifiant l’article 93 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui porte sur l’harmonisation fiscale, et notamment, sur les législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires. L’article modifié indique qu’une harmonisation doit se faire afin « d’éviter les distorsions de concurrence ». Cependant cette procédure d’harmonisation reste soumise à des prises de décision « à l’unanimité » des Etats… autant dire que cette harmonisation n’a quasiment aucune chance de voir le jour.

A Strasbourg, le 21/02/07, c’est sur le ton de l’indignation que Nicolas Sarkozy dénonce spéculation et, finalement, une forme d’immoralité que l’Europe tolère excessivement : « Je veux l’Europe, mais une Europe qui contribue à rééquilibrer le capitalisme financier dans un sens plus favorable à l’entrepreneur et au capitalisme familial. Je veux l’Europe, mais une Europe qui travaille à humaniser et à moraliser la mondialisation (…) Je veux être le Président d’une France qui comprenne que l’Europe est la seule chance pour éviter la mort d’une certaine idée de l’homme, pour que cette idée demeure vivante dans le dialogue des civilisations et des cultures »

Le traité modificatif ne touche évidemment pas à la liberté de circulation des capitaux ! Non seulement lorsqu’il s’agit d’échange à l’intérieur de l’Union des Etats membres, mais aussi entre ceux-ci et des pays tiers (art 56). L’unanimité des Etats est, là encore, requise pour prendre la moindre mesure visant à restreindre la libéralisation des mouvements de capitaux (art. 57-3). Ainsi peut-on être sûr que la spéculation a fort peut de chance de rencontrer des freins au sein de l’Europe.

L’INTROUVABLE "GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE"

Que reste t-il, alors, de la volonté européenne de N. Sarkozy ?

L’affirmation de la nécessité d’une meilleure gouvernance de l’Europe. Devant la Fondation Amis de l’Europe, le 08/09/06, il affirme : « On ne peut pas imposer à un pays ce qu’il ne veut pas. En revanche, je n’accepte pas que celui qui ne veut pas avancer empêche les autres de le faire. C’est une chose d’avoir un État qui ne veut pas avancer, c’en est une autre d’accepter que ce pays empêche les 26 autres d’avancer. Par conséquent, la seule façon de sauver l’Europe politique, c’est de faire sauter ce verrou. Un pays devrait pouvoir dire non, mais sans que ce "non" handicape les projets des autres. Il n’est pas concevable qu’un seul État membre, voire deux, puissent empêcher l’Union d’avancer. »

D’où la nécessité, explique t-il, de reprendre les dispositions du traité constitutionnel (rejeté par référendum) qui concerne les modalités de prises de décisions, notamment via des majorités qualifiées. Le « mini-traité », affirme t-il, « devrait reprendre les stipulations relatives aux modalités de la majorité qualifiée, notamment la règle de la double majorité. Il devrait reprendre les stipulations relatives au partage du pouvoir législatif entre Parlement et Conseil et à l’élection du Président de la Commission par le Parlement. »

A Saint-Étienne, le 09/11/06, il résumait : « L’Europe qui a confiance en elle, c’est l’Europe qui se dote d’un gouvernement économique. » Car d’une plus grande efficience, N. Sarkozy espère l’émergence d’un « gouvernement économique. »

Pour ce qui est de reprendre les dispositions du traité constitutionnel relatives aux décisions à la majorité qualifiée, le traité modificatif devrait le satisfaire. Peut-on espérer un « gouvernement « économique » digne de ce nom ? Là, rien n’est moins sûr !

L’OCCASION PERDUE DE NÉGOCIER UN "PLAN B"

Au bout du compte, dans le traité modificatif, on ne retrouve rien, ou presque, des ambitions européenne affichées par le candidat Sarkozy. Nicolas Sarkozy, en s’appuyant sur la force des 55% de « non » et sa récente élection avec 53% des suffrages, aurait pu négocier âprement, notamment, sur le statut de la Banque centrale Européenne et l’harmonisation fiscale. Au lieu de cela, il a quêté des « soutiens » pour la réalisation son chimérique projet d’Union de la Méditerranée. Avec ses cadeaux fiscaux qui ont rompu la discipline budgétaire, il s’est décrédibilisé auprès de ses partenaires européens. Aussi devons-nous retenir que Nicolas Sarkozy aura débuté son mandat par cette occasion manquée de réformer l’Europe.

Des projets européens du candidat Sarkozy, il ne reste rien, sinon, celui de faire passer, par voie parlementaire, un traité qui ressemble à s’y méprendre au défunt traité constitutionnel. Pour sauver les meubles, il ne reste sans doute la possibilité de transformer la ratification du traité en un piège politique pour la gauche, grâce à la réactivation du clivage entre le « oui » et le « non. » Au risque d’exciter aussi les « nationalistes » et « souverainistes » qui l’on soutenu…

A Clermont-Ferrand, le 27/04/07, Nicolas Sarkozy avait lancé à une foule toute acquise à sa cause un : « Vous en avez assez que l’Europe ne soit pas démocratique » ; et la foule lui avait répondu « oui » en chœur. Ce n’est pas l’adoption par le parlement d’un texte quasi identique au Traité constitutionnel qui recréera la confiance entre l’Union Européenne et les peuples qui l’a composent.

(1) TITRE I. CATÉGORIES ET DOMAINES DE COMPÉTENCES DE L’UNION Article 3 1. L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivants : b) l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ;

(2) Dispositions générales Article 3 3. L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix...

Démocrypte

Publié dans Vu sur le Web

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J
saluton ne peut qu'adhérer à ton analyse.De plus le temps se brouille pour lui, un temps viendra, ou il fera moins le fanfaron ....patientons c'est pour bientôtamicalement Christophe
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A
et si c'était la seule occasion manquée... malheureusement pour nous y'en a tellement depuis le 6 mai qu'on se demande ce qu'il fait encore à l'Elysée
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